Séminaire de didactique professionnelle 14.02.24 – Charleroi

Quel avenir pour la didactique professionnelle en région walonne ?
Quels leviers majeurs pour développer les pratiques en didactique professionnelle ?
Ce séminaire est le 2ème organisé par l’instance bassin emploi formation. Il est destiné aux formateurs, responsables d’organismes d’insertion et de formations, acteurs de l’entreprise.

Programme
1. Quelques éléments de rappel sur le cadre conceptuel de la didactique professionnelle, par Florent CHENU, Inspecteur pédagogique en chef de la Ville de Charleroi

2. Développer les capacités d’analyse de l’activité en situation de travail. Une collaboration avec la fondation Joseph Jacotot : témoignage de Florian Renucci maitre d’œuvre de Guédelon et Emmanuel Boulay, directeur Ifpa et administrateur Jacotot
Échanges avec la salle

3. « De la formation au travail : la vision sectorielle d’EDUCAM », secteur professionnel de l’automobile, par Marc Wilmet, Conseiller Partenariats EDUCAM
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4. Comment et en quoi la didactique professionnelle transforme le paysage de la formation professionnelle ? par Anne-Lise ULMANN, Enseignante et chercheure au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), France
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Conclusions par Paul Timmermans
Nous arrivons au terme de cette matinée qui a été extrêmement dense avec une somme d’informations pertinentes reçues, qui interpellent chacun, qui remettent en question le fil qu’on est en train d’essayer de construire depuis quelques mois, et notamment, en relation avec le premier séminaire et surtout avec un troisième, un suivant, qui viserait à une forme d’opérationnalisation sur notre territoire d’un pôle  de didactique professionnelle. Ce projet, qui est à la base de nos rencontres, fait l’objet d’échanges depuis pas mal de mois dans le cadre de “Factori” ; on se réjouira donc que FormaForm, membre de notre groupe de travail, ait déjà pris un peu d’avance.

1. Les constats de base
La première constatation, c’est qu’il y a deux éléments qui revisiteraient peut-être globalement l’approche de la didactique professionnelle et qui apparaissent aujourd’hui, comme on les nomme en sciences sociales, comme deux impensés.
Le premier impensé, le premier élément de cadrage, c’est que la didactique pro est traversée par un enjeu sociopolitique majeur. Donc on n’est pas seulement dans le cadre d’une relation pédagogique, dans le cadre d’une relation de transmission de savoir entre un sachant et un apprenant, mais plus globalement « faire de la didactique professionnelle un outil de transmission » bouleverse singulièrement les cadres habituels de cette transmission de savoirs.

Anne Lise l’évoquait tout à l’heure: même le lien de subordination dans la relation de travail est remis en cause; plus encore apparaît ainsi la difficile relation dans l’alternance entre formé et formateur, entre formé et tuteur entre tuteur et formateur. De fréquents échanges au sein de l’IFAMPE portent là-dessus, sans toutefois creuser le véritable enjeu: l’alternance-juxtaposition ou l’alternance-articulation. On évoque régulièrement des problèmes organisationnels, notamment liés à l’encadrement pour dire que c’est très difficile de construire ensemble. Mais on pourrait aussi revisiter ça avec les enjeux de pouvoir, et montrer que chacun n’est pas dans la même posture de reconnaissance des acquis. Aujourd’hui le pouvoir, par exemple à l’IFAPME, reste, et c’est légal, au centre de formation, voire à l’encadrement mais trop peu à l’employeur ou son tuteur.

Quel est le pouvoir que la personne sur le lieu de travail (le tuteur) a pour reconnaître les acquis ?
Certes un pouvoir moral, symbolique, d’encouragement. Et donc plus globalement encore, au-delà de cette relation qu’on vit dans l’alternance, c’est un enjeu qui resitue les personnes comme des acteurs de leur propre formation. Et donc tout ce que Anne-Lise évoquait sur la capacité de s’émanciper, de redevenir propriétaire de son propre travail… parce que quand le travailleur le décortique, quand il décrit des choses qu’il fait sans s’en rendre compte, il redevient acteur; on bouleverse donc le regard sur son travail. On peut même affirmer que, si on bouleverse le sens de son travail, on bouleverse aussi le sens de l’organisation du travail, le rapport hiérarchique et pourquoi pas, vu le taux de syndicalisation que nous avons, la reconnaissance barémique de choses qu’on est capable de faire et que personne n’a jamais reconnu.

Donc il y a un enjeu politique majeur autour de ça. Prenons en conscience, tout le monde a intérêt, y compris les employeurs, d’avoir des gens compétents, actifs et pas désintéressés. Et c’est d’ailleurs peut-être cette question-là que la nouvelle génération pose avec encore plus d’acuité que les anciennes. Peut-être que la didactique professionnelle est un moyen de redonner du sens au travail, aux activités du travail.

Deuxième impensé, c’est qu’il faut vraisemblablement faire la distinction dans l’apprentissage, entre les métiers qui n’existent plus- Guédelon – et les métiers qui n’existent pas encore ou qui sont en émergence – l’automobile. Et donc selon l’un ou l’autre cas, on va sans doute approcher des pratiques de didactique professionnelle différemment. Cette problématique n’a pas été suffisamment abordée ce jour.

2. Quelques enjeux de type sociétaire
Au-delà des constats de base, quelques réflexions sur des enjeux qui dépassent aussi la pédagogie, ou la didactique, mais que je pourrais qualifier d’enjeux de type sociétaire pour en faire un grand mot. Au moins 3 ont été évoqués lors de différents exposés, mais aussi lors d’interventions de la salle.

Le premier enjeu, c’est effectivement l’enjeu de développement durable, c’est un enjeu de transition énergétique, c’est un enjeu de bon usage des ressources. Ce sont évidemment le bon usage des ressources naturelles: plutôt que de faire des échafaudages en Inox, on peut les faire en bois comme à Guedélon, c’est moins coûteux, c’est plus local. Mais on peut élargir le propos à une bonne utilisation des ressources humaines. On valorise le potentiel qu’on a dans l’entreprise mais aussi on valorise le potentiel de gens, demandeurs d’emploi qui sont autour de l’entreprise et qui voudraient bien y rentrer. C’est une différence par rapport aux délocalisations ou par rapport au plombier polonais qu’on a fait venir à défaut d’avoir été en capacité de trouver des gens compétents. Donc, il y a là manifestement une façon différente de gérer les ressources lorsqu’on introduit la didactique professionnelle. Et elle devient un outil d’inclusion sociale et de valorisation des ressources humaines locales.

Le deuxième enjeu, c’est “ l’entreprise apprenante”.
On a l’impression, à entendre les différents récits qui ont été faits, que lorsqu’ on met le doigt dans la didactique professionnelle, on met le doigt dans un engrenage et on est parti. On ne peut pas imaginer une action strictement ponctuelle. La didactique pro bouleverse à ce point le cadre organisationnel et le cadre des ressources humaines qu’on ne peut plus s’arrêter et donc c’est toute l’entreprise qui devient apprenante, qui transforme le processus d’acquisition des compétences et de gestion des ressources humaines. Donc c’est peut-être une des pratiques qui est le meilleur retour sur l’investissement.

Alors, troisième enjeu de type sociétaire, c’est les enjeux liés à la santé.
On l’a bien montré tout à l’heure avec l’équarrissage des grumes. Dans le bon geste technique transmis par la personne expérimentée, il y a d’abord un aspect physique, l’entretien de la santé.
Mais si c’est pertinent aussi pour les équarrisseurs de troncs, c’est vrai aussi pour les aides sanitaires qui font des toilettes. Manifestement quand les gens deviennent acteurs de leur propre travail, ils le font autrement, ils le font mieux, ils se protègent la santé physique et peut-être aussi qu’ils se garantissent une santé mentale puisque leur travail a du sens.

Ces trois enjeux sociétaires méritent aussi d’être pris en compte dans la didactique professionnelle.

3. Trois champs d’action
Puisque nous rêvons d’un pôle de didactique professionnelle, au moins aussi performant que ceux qu’on a mis en place en France, et que peut être cette didactique professionnelle est une réponse à l’ « Introuvable relation emploi formation », – un bouquin qui a baigné mes études et mon engagement dans la formation professionnelle -, il y a au moins trois champs particuliers dans lesquels la didactique professionnelle pourrait opérer à côté des champs qui aujourd’hui sont développés.

Le premier, maintes fois évoqué, est celui de la réponse à des besoins de formation du personnel par l’embauche du personnel à recruter. On se rend compte combien l’alternance s’inspire de ça, mais pour aller plus loin dans l’acquisition de compétences, les systèmes d’alternance pourraient devenir des systèmes de didactique professionnelle.
La didactique professionnelle pourrait aussi être une réponse aux pénuries de main-d’œuvre, aux métiers en tension dont on nous ressasse quotidiennement l’importance. L’engagement des entreprises dans ce système serait une réponse concrète, au-delà des discours .

Le deuxième champ, c’est celui des réponses aux besoins de formation du personnel en place. Donc ce n’est pas seulement pour s’assurer, comme dans le premier cas, que les gens qui vont rentrer dans la boîte maîtrisent les compétences minimales qui sont nécessaires grâce à un échange entre praticiens et des praticiens réflexifs, mais plus encore, c’est une manière de former les gens à de nouvelles compétences qui sont liées à des évolutions technologiques pour peu que celles-là puissent être implémentées dans le lieu de travail. C’est vrai, c’est difficile, on évoquait cela avec EDUCAM, dans un milieu traditionnel, c’est difficile pour le garagiste formé à l’ancienne d’appliquer les nouvelles technologies, mais peut-être que le jeune qui sera formé va le faire plus aisément et va assurer la transmission. Mais donc c’est une réponse aussi aux besoins de formation, d’expertise et de productivité du personnel en place.

Et il y a peut-être un troisième champ qu’on a aussi, mais simplement, évoqué, c’est celui de possible perspective de mobilité professionnelle, de transition professionnelle. Peut-être qu’avec un système de didactique pro, il serait possible sur le plan légal, d’aller dans une autre entreprise, faire un stage, pour acquérir de nouvelles compétence;, les travailleurs pourraient orienter leur carrière, soit préventivement, parce que leur secteur ou l’entreprise est menacé de licenciement, cellules de conversion par exemple, ou soit simplement parce qu’ils ont envie de changer de boulot. Et donc la didactique pourrait être aussi un moyen de faire de la mobilité professionnelle, horizontale ou verticale.

Voilà donc les champs dans lesquels on pourrait agir si nous avions un pôle de didactique professionnelle.

4. Les acteurs et leur posture
On termine avec quelques éléments relatifs à une série de questionnements autour de la mise en place d’un système de didactique professionnelle à partir d’un regard sur les acteurs.

C’est clair qu’on sent – tous les discours vont dans ce sens-là – que le premier acteur concerné n’est ni l’organisme de formation trop souvent considéré comme incapable de former des gens aux compétences de l’entreprise, ni l’apprenant qui ne maîtrise pas les soft-skills, qui ne trouve pas un stage .
Le premier acteur concerné, c’est l’entreprise, c’est l’entreprise elle-même. Il n’est pas possible de penser des initiatives de didactique professionnelle s’il n’y a pas une identification formelle et explicite d’un besoin de formation par des employeurs, mieux encore d’un secteur. On cessera ainsi d’incriminer tous les autres acteurs extérieurs, en disant que les gens ne veulent plus travailler, que les opérateurs de formation sont inefficaces…
La meilleure façon de répondre à des besoins de productivité, c’est sans doute d’impacter, d’implémenter son système, son organisation, par des processus de didactique professionnelle.
Évidemment, ça change les choses et donc il faut aussi que l’employeur accepte de reconnaître le besoin, ce n’est pas facile, c’est souvent la faute des autres; c’est accepter de rentrer dans un système où on part des difficultés de l’interne .C’est aussi une démarche de démocratisation de l’entreprise: on accepte que le salarié s’exprime. Malgré les difficultés qu’ils ont aujourd’hui de s’exprimer pour décrire une situation de travail. On ne demande que trop rarement aux personnes de parler de leur situation de travail, de leurs conditions, de l’impact du travail sur leur santé. Cette démarche exige du temps, des lieux, des intermédiaires,..

Peut-être que le passage par l’AFEST qui permet d’avoir des subventions de la collectivité est un incitant qu’on pourrait imaginer de revendiquer. Mais cela signifie que l’employeur en même temps accepte de détacher un expert à l’intérieur de sa boîte, un cadre, qui va aussi jouer le jeu, qui va aussi prendre du temps et qu’il va aussi y avoir un lieu. Et aussi d’accepter aussi la présence d’un extérieur qui vient pour faire de l’intermédiation, pour permettre une réflexion un peu plus critique.
Ce sont des conditions de mise en place qui nécessitent une profonde organisation du travail.

Tout ce que j’ai lu sur l’AFEST, et principalement un certain nombre d’écrits qui ont été produits par Anne-Lise, montrent que les employeurs ne font que s’en réjouir. Je n’ai pas vu d’expérience ou d’employeurs qui disent que c’est inutile, qu’ on a perdu du temps.

Un deuxième acteur, c’est le secteur. Et on se rend bien compte en écoutant EDUCAM combien dans une situation qui est très particulière, où les savoirs évoluent à une vitesse incroyable et en plus où les entreprises protègent leurs savoirs parce que la concurrence est effrénée, c’est difficile de partager. Et on sent que le secteur, dans ce cas-ci, est le seul intermédiaire possible pour passer du particulier au collectif, pour reconnaître des besoins mais aussi pour apporter des réponses les plus adaptées . Et ce sont des réponses de demandeurs d’emploi, des réponses de jeunes en formation, des réponses d’employeurs, des réponses de concessionnaires…
Et donc on se rend compte de l’importance d’être soutenu par un secteur qui agrée, qui cadre, qui évalue, qui porte, qui donne des outils, qui finance, etc. Et si un secteur reconnaît des besoins, c’est plus facile de bosser avec les entreprises.

Le troisième acteur, c’est le salarié. Une majorité de salariés ont besoin de s’exprimer sur le travail.
Ce n’est pas simple; le droit d’expression est sans doute trop codifié et les pratiques éducatives ne l’ont pas valorisé. Mais les travailleurs, ça peut parler aussi, ça peut parler de leur travail. Et c’est sans doute une posture qu’ils n’ont pas intégré culturellement dans une relation dépendante ou de subordination. Mais cette pratique réflexive émancipe aussi les gens, en fait des acteurs et forcément, c’est en s’exprimant sur son boulot qu’on en devient propriétaire. Et il y aura sans doute des revendications légitimes sur le statut, le barème; et les syndicats seront d’excellents relais de cette dynamique.

Et alors, il y a un autre acteur qui mérite d’être questionné, celui de l’intermédiaire. Alors, quel type d’intermédiaire ? Comment un formateur devient connecté à la tâche ? Est-ce que c’est quelqu’un qui est dans la boîte ? Qui est dans l’encadrement hiérarchique ? Dans le cas de l’intermédiaire, comment joue-t-il le jeu ? Quels sont les outils qu’on va lui donner pour qu’il joue ce rôle de réflexivité ? Quelle est la place d’un intermédiaire extérieur ? Un expert qui vient d’un pôle de didactique professionnelle qui serait à disposition des opérations pour mener des AFEST ?
Il y a là toute une réflexion à mener sur l’aspect organisationnel Est-ce que ce sont des experts ? Est-ce que tout formateur peut devenir un expert ? Est-ce que c’est chaque institution qui a ses propres experts ou faut-il un pôle commun d’expertise ? Ce sont des questions qui sont ouvertes et qui sont sans doute aussi liées plus pratiquement à des aspects de financement.

Et alors, il y a évidemment un autre acteur, un dernier, pour conclure, c’est l’acteur politique.
Est-ce qu’on va voter pour des gens qui déclarent dans leur programme que la didactique professionnelle est un enjeu majeur pour eux ?. Si c’était le cas, on vous le ferait savoir. Mais le fait qu’ils en prennent conscience, c’est un peu difficile. Mais on se rend compte aussi que, si les décideurs politiques qui ont en charge la formation professionnelle et l’insertion professionnelle, ont cette conscience que la didactique est un enjeu majeur pour répondre à des besoins d’entreprises, pour améliorer la productivité, pour répondre à des métiers en tension, etc.

Ça va peut-être nous changer des discours incantatoires que certains politiques nous font à longueur de journée. Et donc on ne sait jamais, on pourrait peut-être faire porter ce projet, au moins à titre expérimental pour cette prochaine législature.
On est en chemin. Nous avons eu une première rencontre il y a quelques mois déjà et une seconde aujourd’hui. Et Une troisième va nous permettre de poursuivre ces travaux vers un éventuel pôle de didactique dont on parle depuis qu’on s’y est penché il y a 2 ans. En tout cas aujourd’hui, nous avons reçu une foison d’éléments qui vont pouvoir nous permettre d’avancer sur une opérationnalisation de ce pôle.

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Cercle Joseph Jacotot
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